Nono est une princesse. Une princesse de pacotille nageant au milieu des rimels, des barrettes, des rouges à lèvres. La pauvre Nono ne ressemble à rien. La pauvre Nono voudrait déjà être grande pour porter des talons aiguilles, et se casser la gueule avec. Nono va se marier avec un prince charmant, et vivre dans un chateau. Nono ne veut plus être traitée comme une petite fille. Parce que Nono porte une couronne sur la tête.
God save the Queen. God save Nono, please.

Nono est perdue. Les contes de fées l'ont emprisonnés, elle n'en sortira plus jamais. Elle rêve de gloire, de richesse, de diamants, d'un confort luxueux avec un trône en or, et d'un monde soumis entouré de domestiques. Elle ne vit pas avec les autres. Non. Nono est bien loin, dans une bulle bien à elle, au-dessus de tous et de toutes. Elle est matérialiste à souhait, d'une prétention à toute épreuve, et d'une parfaite franchise.
Elle a toujours raison, les autres ont toujours tort. Son comportement est hautement odieux, et sa bouche ne semble s'ouvrir que pour balancer quelques pics acerbes, d'un langage des plus pompeux. Se moquer des autres, s'incruster dans les conversations, rabaisser, critiquer. C'est son dada, son petit passe-temps préféré.

J'aurai aimé vous dire qu'elle est adorable, qu'on ne peut pas franchement lui en vouloir. Hélas. Je ne peux pas. Autant dire qu'avec un égo pareil, la demoiselle est tout bonnement insupportable. Une vraie peste. Ce n'est donc pas l'envie qui manque de la remettre à sa place. Ce qui est plutôt déconseillé en fait. Nono est impulsive, et ne supporte pas qu'on la contredise. La moindre parole mal placée et vous recevrez le châtiment divin : une main qui viendra s'abattre sans plus de cérémonie sur votre joue. Un esclave doit savoir rester à sa place. Et croyez-moi, d'un certain point de vue, les esclaves ne manquent pas. Aussi aura-t-elle naturellement tendance à ignorer les gens qui viendront lui adresser la parole. Personne ne snobe mieux que Nono.

Mais. Parce que tout un chacun possède des faiblesses qui sauront vous rendre vulnérable et beaucoup plus aimable, voici deux ou trois petits détails qui vous apprendront à dompter la demoiselle.
Premièrement. Une bonne attention n'a jamais fait de mal à personne. Et l'enfant n'est pas sans coeur, quelques sucreries accompagnées de deux ou trois flatteries pourront aisément la faire rougir, et lui faire perdre son caractère un brin... Exécrable. Quitte à la rendre timide, voir même câline.
Deuxièmement. Elle a peur du noir, d'un orage qui gronde un peu trop fort, d'une areignée sur les plis d'une robe, d'une personne à l'aura un peu trop noire. En bref. Des choses qui savent naturellement faire peur aux gens. Et c'est bien connu, une demoiselle en détresse tombera toujours amoureuse du preux chevalier qui fera l'effort de venir la sauver.

- Nono, tu es la plus belle et même que je veux me marier avec toi plus tard ! Alors... Tu veux bien m'épouser ?

Nevil Echols. Charmante petite tête blonde du haut de ses trois ans et demi. Ambitieux poupon tendant une marguerite à la fillette qui partageait sa couverture à l'heure de la sieste. Le roux de ses cheveux l'éblouissait, ses lèvres lui faisaient penser à une cerise. Il voulait la croquer, embrasser les petites tâches de rousseurs de son visage, et s'endormir dans le creux de ses bras. Noémie était plus précieux que son doudou. Noémie était pour lui le stéréotype même de toutes ces princesses de contes de fées, et il n'oubliait pas de le lui répéter.
Et la petite fille souriait, embarrassée. Mais visiblement heureuse. Elle attrapait d'une main timide la fleur qu'il lui tendait, une marguerite de plus qui irait rejoindre celle de la veille, de l'avant-veille, de l'avant avant-veille... C'était comme un jeu innocent entre eux. La princesse et le prince charmant. Deux enfants un peu trop nourris aux histoires et aux dessins-animés. Ainsi fut-elle bercée par de tendres illusions, voilà commence l'histoire de la fille qui ne grandit pas.


Noémie était une enfant modèle. Le genre de gamine qui ne cause pas de problèmes, qui se contente de jouer aux poupées, qui regarde la télé, et qui s'endort quand on lui lit une histoire. Madame Upton en était très fière, et plus encore lorsque ses bonnes amies venaient la complimenter sur le sérieux, la beauté, la courtoisie de sa fille. Noémie fut rapidement gâtée par la vie, choyée. Légèrement capricieuse, sans qu'on ne lui refusa quoique ce soit. Sa mère était bonne pâte, elle savait comment l'amadouer. Et puis l'argent ne manquait pas. Monsieur Upton était le PDG d'une grande entreprise, autant dire qu'il gagnait plus qu'assez pour combler sa petite fille.
Elle devint naturellement prétentieuse, orgueilleuse, toujours à toiser les autres du haut de sa tour d'ivoire, à se donner des airs de princesse. Ca passa plutôt bien au début, à l'école. On l'admirait, on la jalousait, on la détestait. Mais elle faisait parti de ceux qui sont cools, qui imposent naturellement le respect, qui savent y faire avec les autres, qui savent être intouchables dans ce petit monde barbare.

Et puis tout changea à l'adolescence. Elle avait un langage trop pompeux, elle s'occupait trop de ses cheveux, se maquillait déjà beaucoup trop pour son jeune âge. Et elle possédait ce comportement maniérée, un peu bourge. C'était superficiel, c'était comme si elle en faisait trop. C'était risible. Et son comportement de petite reine ne plaisait pas. Elle était détestable. Folle, qu'on disait. Parce que les princesses n'existaient pas, parce qu'on ne vit plus dans des chateaux à notre époque, parce que l'esclavage a déjà été aboli. Noémie était comme un anachronisme, née à la mauvaise époque.
La demoiselle aurait pu s'attirer des ennuis. Elle parlait aux autres comme on pouvait ordonner à un chien, giflait quand elle croyait que c'était une nécessité. Et puis il y avait Nevil. Toujours là, derrière elle, à veiller à ce que personne ne vienne briser sa princesse. Elle l'aimait un peu. Peut-être plus. Surtout parce qu'il savait comment la flatter. Surtout parce que c'était le seul qui pouvait la supporter.

Noémie n'avait pas une vie très palpitante, plutôt normale en fait.
Et puis un jour, Nevil déménagea. Il lui manquait, bien sûr. Même si elle n'osait pas trop l'avouer, ce qui ne l'empêcha pas de sauter tout de même dans le premier taxi pour venir le visiter. La route était un peu longue, pas trop. Sufisamment pour devoir s'arrêter, dormir une nuit. Il y avait cet hôtel. Miteux, c'était certain. Bien sûr qu'elle tira une drôle de tête, bien sûr qu'elle ne voulut pas y entrer. Mais elle n'eut pas vraiment le choix. Le chauffeur était fatigué, et c'était le seul hôtel des alentours, et comme elle n'avait pas voulu s'arrêter plus tôt, et comme la voiture avait failli percuter un camion, et qu'elle craignait que cela ne recommence si le bougre monsieur ne dormait pas... Elle capitula. C'est ainsi qu'elle pénétra dans l'antre du diable. Et bientôt la princesse hurlera en comprenant que, non, effectivement, elle ne pourra pas quitter les lieux, et qu'il faudra bien patienter un peu. Faire attention. Surtout.