« Pourriez-vous m’accorder votre main ? »
¤ // « Pour que je vous la coupe, bien entendu ! »




Avez-vous déjà été à Falcon Yunkies ? Non, bien sûr que non, il est impensable que vous ayez déjà poussé les portes de verre du domaine de Yunk, à moins que vous ne soyez l’une de ses connaissances, ce qui ne semble pas être le cas. Si vous n’êtes jamais allé là-bas, vous n’avez certainement jamais entendu parler de Road H., cette charmante et adorable jeune fille qui parcourt le monde à la recherche de tableaux aussi éphémères qu’immortels. Laissez-moi, humble créature claire, vous parler d’elle…


Dame Helen, puisque c’est ce qu’elle est devenue il y a peu, est une princesse de caractère. Vous pouvez prendre cette phrase comme vous le voulez, toutes les significations sont bonnes, elle se comporte vraiment comme une fille de roi et en effet, elle a un tempérament qui la rend parfois assez peu commode. La demoiselle est hautaine, égoïste, sûre d’elle et se considère comme libre de ses actes et de ses droits, elle n’écoute personne et se moque du monde entier. Elle n’aime pas les inconnus, simplement parce qu’ils existent et risquent de se trouver sur son chemin, vous le constaterez dès votre première rencontre. A l’heure où vous la croiserez, elle vous détaillera de son regard dédaigneux, des pieds à la tête, et vous écoutera parler en affichant un air franchement désintéressé. Elle sera au départ plus ou moins agréable, aura une légère tendance aux réponses aussi courtes qu’implicites et vous enverra des piques dès qu’elle en aura l’occasion. Aussi, je vous le conseille, ne lui donnez pas le bâton qui lui permettra de vous battre, elle ne s’en privera pas. Si vous voulez faire vos adieux à ce détestable comportement de petite souveraine déchue, il ne vous reste plus qu’à la supporter ou à réussir à la contrer pendant un certain temps, jusqu’à ce que ses yeux changent et qu’elle repasse le mode « agressivité » en version [OFF].


Si vous avez la patience d’attendre qu’elle enterre la hache de guerre, vous découvrirez une toute autre personne, aussi gentille qu’elle peut être infréquentable. Bien entendu, il faut faire abstraction de quelques détails si vous voulez vraiment l’apprécier, comme par exemple bannir votre sens moral. C’est je pense, mis à part son comportement avec les inconnus, le seul point qui pourra vous déplaire lorsqu’elle ne vous regardera plus avec dédain, Road n’écoute rien ni personne. Elle se considère au-dessus des lois, et même parfois des autres, et n’en fait qu’à sa tête. Mais une fois passé outre, vous êtes en mesure de découvrir une jeune fille gentille, pleine d’humour et capable de se plier en quatre pour vous venir en aide. Si vous ne prêtez pas trop d’attention à ses lubies bizarres et à ses accès de grognements {éloignez vous d’elle si elle grince des dents, ce n’est jamais bon signe}, c’est une personne très facile à vivre et une compagne agréable.


Dame Helen a comme tout le monde, des défauts, des qualités, des phobies, des passions. Pour les citer dans un ordre rapide, elle a un comportement détestable pour peu qu’elle ne vous connaisse pas, sera la pire des gamines pourries-gâtées et pourra se montrer carrément méchante. Mais elle a quelques avantages, en plus de ceux qui font d’elle une bonne compagne, elle est intelligente, réfléchie, calme la plupart du temps et n’hésitera pas à vous aider si vous comptez pour elle. Son œil est un véritable don pour ce qui est de son métier, mais il pourra également vous aider dans un cadre moins habituel.
Ses passions, en plus de se foutre de la gueule du monde et de contredire les lois, sont la photographie, la pâtisserie {quand elle en a le temps, c’est-à-dire plutôt rarement} et le stylisme {elle adore faire ses vêtements elle-même}. J’aurais pu y ajouter le sport et le dessin mais compte tenu de sa situation, ces deux derniers détails comptent plus comme aptitudes naturelles qu’autre chose.
Pour ce qui est de ses peurs, qu’elles soient bleues ou d’une autre couleur, elles se résument assez facilement en une seule : la mort. Road est terrorisée à l’idée de mourir, parce que sa vie n’est pas éternelle et qu’elle sera comme tout le monde amenée à disparaître un jour, comme tout le monde. Le fait de savoir qu’elle va mourir jeune l’effraie d’autant plus, ne vous étonnez pas si vous la voyez faire des détours lorsqu’elle croise des personnes âgées.

« Tu veux vraiment savoir d’où je viens ? »
¤ // « D’accord mais je m’arrange pour que tu l’oublie juste après ! »




Humble créature que je suis et aussi savante que je puisse l’être, je n’ai pas filée Dame Helen dès ses premiers jours dans cet illustre monde, je ne pourrai donc que vous faire un bref résumé de ses premières années. Et je doute que mon point de vue ne soit très objectif, étant donné que ces brèves paroles viennent de cette chère Road, termes qu’elle a rapportés elle-même à Dame Yunk, alors qu’elle n’avait que treize ans. Mais plutôt que de rester à tergiverser pendant des heures, autant vous conter le pays des étranges merveilles dont est issue cette adorable petite demoiselle…


Angleterre, quartier sud de Londres, dans un hôpital de quartier plutôt renommé, dans une chambre décorée aux tons d’Inverness, est née une petite fille un 31 octobre, alors que les enfants courraient les rues à la recherche de la plus petite overdose de sucre possible. Milady Sarah Helen était la femme de Milord Edward Helen, mère de jumeaux âgés de deux ans et institutrice des petites classes, tandis que son homme s’employait à faire travailler consciencieusement les nombreux employés de son journal politique. Fidèles à la Reine {God save the Pims !}, les parents vivaient une belle existence dans une grande maison dans la bordure de la capitale, domicile agrémenté d’un immense et magnifique par cet d’un gros chien blanc. La famille était aisée, le savait, et gérait très bien sa petite fortune, tant aux yeux de la souveraine qu’à ceux de leurs amis.
Les enfants de la famille reçurent, dès leur plus jeune âge, une éducation irréprochable et furent instruits aussi bien à la littérature qu’à la musique ou à diverses formes d’art. Les manières aussi conservatrices qu’idylliques de Sir Helen firent que sa progéniture passa du stade d’adorables et charmants bambins à jeunes collégiens précoces et conscients de leur situation. Les jumeaux, Bastet et Willem, étaient gentils, bien élevés, travailleurs et visaient la haute sphère de la société, ils réussirent avec facilité leurs premières années suivant l’école primaire. En revanche, Road Helen, le rejeton s’écartant de la piste dès sa naissance suite à une maladie bénigne mais incurable, bien qu’étant âgée de deux ans de moins, était tête brûlée et commençait à rechigner à suivre le chemin tout droit tracé par ses parents. Ces derniers, lorsqu’ils apprirent le mal dont souffrait leur fille de la bouche d’un médecin à l’arrivée des résultats d’une prise de sang, dissimulèrent leur douleur et finirent par se résigner à l’idée de ce qui allait lui arriver. Plutôt que de se laisser abattre, ils décidèrent de faire comme si de rien n’était et de lui offrir une vie la plus normale possible. Les deux ainés, n’apprirent cette nouvelle qu’à leurs douze ans, et prirent l’option d’imiter leurs parents, quoi qu’ayants une attention toute particulière à l’égard de leur petite sœur.


Comme ses aînés, la fillette avait reçue une éducation exemplaire, l’initiant autant aux arts et à leurs histoires qu’aux études traditionnelles. Elle était polie, très intelligente, légèrement manipulatrice sur les bords et très calme, l’enfant idéale aux yeux des invités de la famille. Sa passion pour la photographie naquit au cours de la découverte de son œil exceptionnel, ses parents l’encouragèrent directement à poursuivre dans cette voie, l’incitant à s’intéresser au National Geographic. Mais malgré ces derniers détails, la petite demoiselle s’obstinait à ne pas viser les mêmes sommets que les jumeaux, à savoir qu’elle ne souhaitait pas atteindre les hauteurs aussi médiatisées que populaires. Dès douze ans et malgré un dossier scolaire prometteur, Road abandonnait l’idée de poursuivre ses études dans la branche générale, préférant se diriger vers une école spécialisée la formant aux variétés de la photographie. C’est peu avant ses treize ans qu’elle faisait part de son projet d’avenir à ses parents, leur annonçant qu’elle voulait « capturer des images du monde nu sans se voiler la face ». Une idée qui laissa son père relativement indifférent et qui fit sourire sa mère, qui la mit au défi, craignant que son enfant ne mesure pas le poids de ce souhait. Lady Helen avait un an jour pour jour pour faire un tour du Royaume-Uni, avec l’assistance de deux personnes employées dans le but de l’aider, et pour ramener des clichés satisfaisants. Elle interrompait ses études au cours de cette année et parait effectuer ce voyage, périple au cours duquel nous l’avons rencontrée.


C’est durant cette année qu’elle se forgeait son fort caractère, destiné à l’aider lorsqu’elle partirait seule et pour de bon. Elle découvrait également un concept de la vie qui lui plaisait plus que tout, la liberté, aucune règle ni loi à respecter, et personne pour vous rappeler à l’ordre. Notion qui lui montait à la tête, d’autant plus que sa maladie progressait plus rapidement que prévu, rapprochant inévitablement l’idée d’une mort à la fois proche et inéluctable. Son teint et sa belle peau autrefois joliment bronzée étaient devenus blafards, presque maladifs, la dégénérescence de son épiderme s’accélérait suite à la dureté de ses nouvelles conditions de vie. Elle savait que dans cinq ans tout au plus, son visage et son corps finiraient grisâtres et que son décès surviendrait autour de ses vingt-cinq ans. Elle décidait de profiter au maximum de son existence lorsqu’elle rentrait chez elle, rapportant ses clichés à Dame Sarah Helen.


De retour à Londres, Road Helen reprit ses études et bucha durant deux ans dans diverses écoles de photographie et de films. Elle se vit contrainte à calmer les ardeurs de son tempérament durant cette période, et se fit émanciper à l’âge de dix-sept ans. Dès lors, la jeune fille partit faire le tour du monde, équipée uniquement du strict nécessaire et d’une somme d’argent conséquente, en prévision du jour où elle tomberait dans un pays dénué de distributeur automatique. Elle voyagea pendant deux ans, immortalisant de magnifiques images, aussi belles que douloureuses et tragiques. Deux années durant lesquelles elle vit le monde et l’inscrivit dans son corps et dans son âme, écrivant et photographiant tout ce qu’elle voyait et tout ce qu’elle entendait. Elle rencontra des personnes comblées par la vie, d’autres martyrisées, et des photographes, témoins silencieux et impuissants des chaos du monde et de l’existence. L’un de ces artistes, Marco, qu’elle rencontra en France, la marqua profondément, lui et son travail au sein de l’atelier 22, sa manière de penser et sa douleur aussi quotidienne qu’indifférente. Il résumait sa vie simplement : « C’est l’histoire d’un photographe fatigué, d’une fille patiente, d’horreurs banales, et d’un chat pénible. ». Une semaine après l’avoir rencontré, elle se tatouait sept croix sur le front, significatives du poids, de la trace de ce qu’elle voyait.


Elle rejoignit l’hôtel Dusk dans un curieux concours de circonstances, alors qu’elle parcourait les Etats-Unis dans le cadre de son travail, et comptait descendre par la suite au Mexique. A pied et seule comme toujours, elle voyageait à son rythme en découvrant les choses telles qu'elles étaient. Elle débarqua un beau jour de pluie, un appareil Reflexe pendu au cou, son sac en bandoulière noire à l’épaule gauche et son parapluie dans la main droite, le visage encore clair et les cheveux ébouriffés. Road poursuivait son épopée, le teint s’assombrissant encore et toujours, et souhaitait passer la nuit dans un lit, coincée entre quatre murs. Sa tendance claustrophobe l’avait quittée à force de passer ses jours et ses nuits à l’extérieur, souvent contrainte à dormir dehors. Malheureusement pour elle {ou heureusement, rien n’est moins sûr}, son dos commençait à la faire souffrir et la poussa à passer les portes du premier hôtel attirant son regard… Elle décidait de ne rester qu’une nuit et de repartir dès le lendemain, en direction de la ville suivante. Au détail près qu’elle ne pu jamais passer la porte d’entrée dans le sens inverse et qu’elle se vit contrainte à rester coincée dans le bâtiment. Elle commença par y chercher un sens logique, qu’elle ne trouva pas, cela va de soi, et fini par se résigner à attendre quelques jours. Perdre du temps ainsi lui déplaisait fortement mais elle n’avait d’autre choix que de se résoudre à attendre pour voir si le temps changerait quelque chose à sa situation.


{* Marco est un personnage tiré de la bande dessinée Le combat ordinaire par Manu Larcenet}
{** La maladie de Road est une combinaison de la dépigmentation cutannée en exagéré et du symptôme de l'enfant-vieux, qui fait vieillir les sujets à une vitesse vertigineuse, elle est bégnine pour ce cas dans le sens où elle n'ocasionne pas de désagrément comme des cancers ou autres}