La plus adorable des jeunes femmes, non, c’est n’est pas moi. Certes je suis souriante et joviale, oui, je suis attachante, bavarde et pleine d’idées. Mais ça ne change absolument rien à ce que je suis réellement : l’une des neuf.

J’ai tué énormément de monde depuis ma naissance. Et j’en ai fait souffrir bien plus encore. Tellement que vous n’oseriez même plus rester sur la même planète que moi si vous le saviez. Je suis une fille cruelle, avec un passé honteux. Mais j’en suis fière et même très fière. Car dans la famille, plus tu as fait de mal, mieux tu es vue. C’est ainsi depuis la naissance de l’univers et ça sera ainsi jusqu’au big crunch. Je ne peux échapper à mon destin.

Sachez que je suis une manipulatrice. Une horrible manipulatrice. Car si je vous manipule, c’est pour mon plaisir, pour mon repas ou vous vous faire souffrir. Je m’immisce dans vos esprits, vous dirige comme un pantin pendu à ses ficelles. Si j’ai faim, tu me prépareras un gâteau à la fraise, si j’ai soif, tu me feras un énorme milk-shake, si je m’ennuie, je te ferai souffrir, te torturerai jusqu’à ce que je tu pleures et me supplie. J’aime être suppliée. Je n’aime pas être détestée. Aussi non seulement je te manipulerai, mais en plus je ferai en sorte que tu m’apprécies. Et si ça ne fonctionne pas, alors tu mourras.

Dis oui à tout ce que je te demanderai et tu feras partie de mes protégés. Je suis une fille autoritaire et j’aime donner toute sorte d’ordres les plus fous les uns que les autres. Prépares-moi une tarte aux pommes, masses-moi les pieds, fais-moi découvrir l’un des nombreux sentiments humains, pleure pour que je te donne à manger à la petite cuillère, jeûne jusqu’à mourir de faim,… Oui, j’aime donner des ordres, j’aime que l’on m’obéisse. Mais je crois que secrètement, le fait que l’on me désobéisse fait monter ma libido. Mais ça, je n’en suis pas certaine, je ne connais pas les vices liés à l’amour. Je ne connais que l’amour fraternel.

Je suis curieuse, si vous considérez la curiosité comme un défaut. Et je crois d’ailleurs qu’à mon stade, la curiosité est un vice dangereux. Je ne vous dirai pas jusqu’où je suis prête à aller pour assouvir ma curiosité. Sachez seulement que j’ai tué de nombreuses populations à cause de cela, de nombreuses espèces animales ont disparues à cause de ma curiosité maladive. C’est aussi pour cela que le métier de photographe me convient si bien. Entre autre choses bien entendu.

Que dire d’autre de moi ? Je suis pleine de surprises. Je suis un petit boute-en-train, toujours prête à faire la fête. Pratiquement toutes les recettes qui existent au monde sont de ma création. J’adore créer de nouvelles saveurs, exotiques ou non, sucrées, salées, amères, alcoolisées. Je suis une merveilleuse inventeuse, mais une piètre cuisinière. Je crois que c’est du à ma maladresse. Je brûle tout ce que je tente. Les fours, vraiment, je les déteste ! Encore plus que de voir quelqu’un manger mon dessert favori à ma place.

Connaissez-vous la sensation de faim ? Vous savez, cette douleur dans le bas du ventre, ces gargouillis qui remontent jusqu’à l’œsophage ? Cela vous rend certainement exécrable, désagréable à souhait. Depuis ma naissance, je connais cette faim, chaque heure de chaque jour. Je suis une affamée, une éternelle insatisfaite par cette existence qui serait bien morne sans les merveilleux, les gâteaux à la fraise et les tartes aux pommes.

Bonjour, moi, c’est Alix Harrison. Vous me connaissez peut-être, je suis l’une des neuf, la fille du vice. Je suis née du bedon de mon père, un bedon qu’il avait large et peu gracieux. Heureusement, je n’ai pris avec moi qu’une gourmandise in satisfaisable, laissant derrière moi le caractère gras et rond du ventre de mon père. Ce qui est étonnant, lorsque l’on sait que je passe plus de temps à manger qu’à dormir.

Parmi mes frères et sœurs, je suis la septième, l’avant-avant dernière de cette grande famille. Nous étions déjà tous là au commencement du monde. J’étais captivée par les changements que faisait le Seigneur sur cette boule grisâtre. Non pas que j’appréciai ce personnage, mais ce qu’il créait était très beau, ravissant et envoûtant. J’observai d’en haut tout ce qu’il inventait avec admiration. Mes frères essayaient toujours de me faire détourner les yeux, de me retenir. Mais Dieu créa les plantes et les arbres fruitiers. Je ne pus résister.

Mes premiers pas sur la Terre furent dans le jardin d’Eden. Je voulu goûter à ce fruit appelé plus tard le fruit défendu. Je me demande s’il a été appelé ainsi par ma faute. Quoi qu’il en soit, le goût de ce fruit était magique, sucré à souhait, juteux comme aucun autre met. Je suis tombée amoureuse du jardin d’Eden. Mais prendre l’état d’animaux, c’était si peu, j’étais limitée dans mes mouvements. Et même si moi j’avais toujours faim, le ventre de l’animal, lui, finissait par exploser et le faire mourir. J’étais condamnée à souffrir, inassouvie.

Dieu créa une dernière merveille sur la Terre : L’Homme, accompagné de la Femme. Eve, ma chère Eve. Je me suis pris d’affection pour elle, tout en la manipulant. Je l’ai guidée vers le fruit défendu, je l’ai incitée à y goûter, sous les yeux de son amant. Pour ne pas être repérée, je lui ai fait partager mon seul bonheur. C’est de ma faute que les portes d’Eden ont été ouvertes, de ma faute si l’homme a été chassé pour vivre dans des lieux poussiéreux, couverts de nuages. Non, je devrai plutôt dire grâce à moi. Car voyez-vous, si mes quatre frères, mes quatre sœurs et moi-même avons pu nous amuser à ce point pendant des milliers d’années, c’est bien grâce à mon envoûtement subtile, à ma gourmandise inébranlable.

Ce fut Abbel le premier à détruire l’Homme. Il créa la vieillesse et la souffrance. Les Hommes et les femmes mourraient ainsi le visage disgracieux, déformé par la douleur. Caïn trouvait cela trop doux et sema le trouble dans les esprits, la querelle dans les familles. La guerre fit se tuer les hommes entre eux. Bon nombre de Femmes étaient désormais veuves et malheureuses. Mais Nathaniel était là pour les réconforter, les prendre sous son aile et les faire voyager dans un bonheur impossible et peut-être mortel. Jame, malgré lui, refila ses maladies, des maladies contagieuses et parfois mortelles qui pouvaient diminuer de moitié une ville toute entière en quelques mois à peine. Eileen, ma petite sœur, a mis la main à la pâte elle aussi. Les femmes se mirent à tromper leur femme, les hommes à violer celles des autres. De nombreuses femmes furent lapidées par sa faute. De nombreuses vengeances furent menées. Des guerres de nouvelle origine, mais bien moins grandes que celles que Caïn avait créées. Hazel créa la plus belle des morts, la plus délectable. Elle se mit à torturer les âmes en peine jusqu’à ce qu’ils tuent leurs proches pour finir par se suicider. Le suicide est toujours un délice à découvrir, tellement l’âme du mort est avant ça torturée.

Moi, dans tout cela, j’ai mon cota de décès et de torturés également. La faim, la famine, les maladies intestinales. Je suis responsable. J’ai créé la mort lente, menée dans la douleur et la faiblesse. J’ai rendu ces êtres fragiles plus faibles encore pour faciliter la tâche à mes frères et sœurs. J’ai créé de nombreux troubles, tels que l’anorexie ou la boulimie. Les hommes se sont mis à se détruire en ne mangeant plus ou en mangeant tellement qu’il fallut leur dire comment éviter de voir leur ventre exploser. Je suis fière de mes actes et mes idées, fière de pouvoir me venger de de mon éternelle insatisfaction.

Mais moi et mes frères étions lassés de toutes ces mascarades qui étaient, au final, barbantes et répétitives. L’homme n’avait plus besoin de nous pour se battre ou se tuer, les médias leur donnait l’idée, menait le trouble dans leurs petits esprits. Nous n’avions plus rien à faire sinon attendre que ça se calme quelque part pour raviver la flamme. Et parfois, nous devions attendre des dizaines d’années avant de pouvoir pleinement agir et ce à grande échelle.

C’est là que Shelley a mis mon petit grain de sel dans nos idées. Et si nous allions sur terre, prendre forme humaine afin de torturer les Hommes en temps réel, de vive voix et de face. Tout le monde y a trouvé ses intérêts et avantages. Moi également. J’allais enfin pouvoir manger vraiment. Ca allait être mon ventre, j’allais enfin connaître le rassasiement en volant le repas d’un affamé. Et nous créâmes l’Hôtel pour nous y installer.

Chacun a créé son personnage, tout à fait compatible avec la société actuelle. Personnellement, j’ai opté par le plus beau des métiers qui convenait parfaitement à mon admiration : photographe. Faire des photos de la nature et des malheurs de l’homme, il n’y a pas meilleur. J’aurai pu être cuisinière, mais j’aime manger, pas concocter les mets. J’aurai pu également être diététicienne, gouteuse ou je ne sais quel métier en rapport avec mon amour pour la nourriture, mais être derrière mon appareil photo, choisir le meilleur objectif pour avoir la plus belle des vues, cela fait mon bonheur professionnel. Je peux ainsi conserver précieusement mes souvenirs. Même si j’ai une excellente mémoire, j’oublie parfois les petits détails de la vie, surtout depuis mon arrivée sur Terre.

Mais vous savez quoi ? Je n’ai pas trouvé le rassasiement. A la place, j’y ai trouvé le chagrin. J’étais malheureuse de manger et d’avoir malgré cela toujours faim. Cela a quelque peu détruit mon envie de démolir l’être humain par la famine. Mais étant l’une des vices, je suis obligée de détruire l’être humain, je ne veux surtout pas que mes frères et mes sœurs découvrent la faiblesse qui m’a atteinte. J’étais capable de pleurer, vous imaginez ?

Quoi qu’il en soit, je continue à torturer les autres en leur donnant faim, jusqu’à ce qu’il me supplie et remplissent une piscine de leurs larmes. Je ne suis plus la même parce que je ne sème plus la famine jusqu’à ce que mort s’en suive. J’ai créé l’obésité mortelle à la place, pour m’amuser un peu. C’est tellement plaisant de manger six fois plus qu’une personne obèse en conservant sa taille de guêpe. Je regrette un peu d’être sur Terre, mais c’est toujours mieux que l’ennui que nous avions fini par connaître ailleurs. Espérons que de nouvelles choses viennent combler mon ennui. Qui sait, parfois les hommes sont surprenants.