Avant de commencer, je dois vous mettre en garde, que vous ne soyez pas surpris. Il y a deux Lydia. Deux vies, deux caractères, une personne. Rassurez vous, elle n’est ni schizophrène, ni victime d’un dédoublement de personnalité ou d’une quelconque psychose. Tout ceci est un jeu qui a commencé il y a longtemps, par nécessité. Au début, ce n’était pas aussi distinct que maintenant, mais petit à petit le jeu a pris de l’ampleur. Entre réalité et fiction, il n’y a qu’un pas.

La première Lydia est celle qui apparait le plus souvent devant les gens. Elle est gentille, discrète, enjouée, serviable, agréable, banale. Pour résumer, elle est irréprochable. Beaucoup trop. Rien à voir avec le réel. Elle en est tout à fait consciente et cette situation l’amuse énormément. Les gens sont naïfs. Ils se fient toujours à leur première impression et n’envisagent pas une seconde que la vérité est bien différente. Malgré tout elle se méfie des gens. Elle est bien placée pour savoir que les apparences sont trompeuses. Si elle est capable de mentir à tout le monde, il est possible que d’autres en fassent autant. Elle remet souvent en compte son opinion sur les gens et analyse toutes les situations. Après tout, il y a des traitres partout. Pour une délinquante comme elle, la moindre erreur peut être fatale. Lorsqu’on joue avec le feu, on ne peut faire confiance à personne. « J’en ai pas vraiment besoin de toute façon. Les gens sont des jouets, des accessoires. Ils servent qu’à passer le temps un court instant, puis tout retourne dans l’ennui et la solitude. S’attacher, ça ne sert à rien. »

Pourtant, concrètement, ce n’est pas aussi simple.

Parce que Lydia est loin d’être un ange, elle possède sans doute plus de défauts que de qualités. Evidemment, il faut apprendre à la connaître pour le réaliser, ce n’est pas vraiment marqué sur son front. C’est qu’elle joue bien la comédie. Menteuse et manipulatrice, elle en a fait son quotidien. Mais vous savez, ce n’est pas désagréable de jouer un rôle. C’est juste une question d’habitude. Quoi qu’il en soit, la jeune fille est satisfaite de sa vie. Certes elle n’est pas parfaite, mais elle n’a aucune raison de se plaindre. Enfin, ça ne l’empêche pas de râler pour un oui ou un non. Irritable, elle s’énerve souvent sans véritable raison. Juste pour évacuer la colère qu’elle possède. Trop de rage accumulée. Puisée on ne sait où, comme une tâche sombre qui a grandi, petit à petit, lentement, jusqu’à devenir incontrôlable, irréversible. Elle passe son temps à râler, éternelle insatisfaite. Détails sans importances, détails même inexistants. Parce que votre tête ne lui revient pas, parce que son verre de soda a tâché la table, parce que le pull orange du mec devant elle est trop laid, parce qu’elle a eu froid pendant la nuit, parce qu’elle a envie, elle est capable de s’énerver pour rien. Mademoiselle a toujours raison. Généralement, ce sont ses proches qui en font les frais, elle ne va tout de même pas s’énerver sur des inconnus. Quoique, j’ai bien dit généralement. Brutale, à fleur de peau, vive, peu délicate. Puis lunatique surtout. Comme un rien peut l’énerver, ou l’inverse. La demoiselle et insaisissable, incompréhensible et contradictoire.

Pas totalement associable, rebelle, capricieuse, insupportable ou orgueilleuse, il lui arrive parfois d’être amicale. Sincèrement je parle, pas lorsqu’elle joue son numéro de fille modèle. Elle n’a pas vraiment d’amis, seulement des potes, des camarades et des collègues, parce les gens ne méritent pas sa loyauté. Mais ce qui est sûr, c’est que ceux qui en sont digne auront un traitement de faveur. Premières victimes de ses sautes d’humeur, de son sale caractère et de ses confidences, ils seront pourtant certains de pouvoir compter sur elle. En vérité, la jeune fille est très protectrice. Elle ne supporte pas de voir les gens qu’elle apprécie dans des situations délicates. Il lui arrive de s’attirer elle-même des ennuis pour en éviter aux autres. Cependant, détrompez-vous, ce n’est pas par bravoure ou par altruisme qu’elle agit comme cela. Non, pas du tout. Ne vous faites pas d’illusion, la mauvaise fille qui cache un bon font, ce n’est pas elle. « C’est à moi, rien qu’à moi, à personne d’autre. », « Pas touche à ce qui m’appartient. » Voilà comment elle voit le monde qui l’entoure. Qu’il s’agisse des gens, d’objets, d’argent ou de n’importe quoi, Lydia est extrêmement possessive. Elle s’approprie absolument tout ce qu’elle désire. Peu importe l’avis des principaux concernés. C’est cet état d’esprit qui a nourri sa kleptomanie. Parce que oui, la demoiselle est malade. Elle a besoin de voler, même des choses totalement inutiles, même si elle ne manque de rien. C’est un réflexe, une tradition, une sale manie. Elle agit sans se rendre compte directement de ses actes. Elle aime ça : se sentir au dessus des lois, au dessus des gens, repousser toutes limites, le sentiment de posséder tout ce qu’elle veut. Comme si elle était intouchable, libre. Il n’y a qu’elle, elle et elle seule. Les autres n’ont aucune importance. Son bonheur, son plaisir, sa personne passe avant tout. Elle ne se soucie jamais de ce que peuvent penser les autres, elle est bien trop égoïste pour cela. Peu importe qui et ce qu’elle vole, tant que ça lui revient.

Demandez-lui si elle n’a pas peur de se faire prendre, elle vous répondra qu’elle n’a peur de rien. Il est vrai qu’elle n’a pas froid aux yeux. Elle fonce sans se poser de question et ne recule jamais, mais c’est par fierté. En fait, elle a peur des insectes, des objets fluorescents la nuit, de l’orage et d’autres choses futiles, mais jamais elle ne l’avouera. « La peur, c’est pour les nuls. » Et puis au-delà de son égo développé, elle est perfectionniste à l’extrême. Elle ne fait jamais rien au hasard, elle calcule toujours ses faits et gestes. Il n’y a que son comportement qu’elle ne maîtrise pas. Elle n’a donc aucune raison de se faire prendre.
Et dans cette vie bordélique, Lydia est heureuse. Même si elle pouvait, elle ne la changerait pour rien au monde.

Comme toujours, Lydia s’ennuyait. Sa vie n’était que routine. Aucun imprévu, aucune erreur de parcours. Son existence était d’un calme platonique. Elevée dans une famille banale, elle avait pris goût sans se rendre compte à un confort inestimable. Ses parents étaient simples et il n’y avait rien d’original à dire à leur sujet. Ils passaient leur vie à travailler, cherchant à atteindre le rêve américain. Ils croyaient que cela mènerait au bonheur. Ils avaient même réussi, mais ce n’était pas vraiment l’avis de leur fille cadette. Il lui manquait quelque chose. A l’image de son éducation, elle montrait une conduite parfaite. Bonne élève en cours, elle s’arrangeait toujours pour rester dans les premières de la classe et surtout s’attirer la sympathie de ses professeurs et ses camarades. A l’extérieur, elle souriait en permanence, ses gestes étaient toujours élégants, ses fréquentations irréprochables, son rire candide ravageur. Lydia était encore au lycée à cette époque et elle faisait partie des gens biens. Vous savez, ces gens que tout le monde connait sans que ce soit vraiment le cas. Depuis toute petite, elle avait toujours tout eu pour elle. Mais à force de tout avoir, on ne désire plus rien. Pauvre petite fille blasée par sa vie comblée. Cependant, elle était bien trop ambitieuse pour ne plus rien vouloir. Loin de là. Mais elle ne savait pas encore ce qui lui manquait. Quelque chose de tellement gros qu’elle passait à côté. Alors elle attendait, avec une patience aberrante de manipulation. Entre deux discussions hypocrites, elle attendait qu’on lui tourne le dos pour prendre n’importe quoi. Des stylos, des feuilles, des sous, des porte-bonheurs, des cœurs. Mais rien de ce qu’elle trouvait ne remplissait son vide. Et elle continuait à s’ennuyer horriblement. Depuis seize ans sa vie se répétait sans cesse, comme un vieux film qu’on repasserait en boucle. Jusqu’à ce que la bande vidéo s’enraille, jusqu’à ce que tout s’emballe.

Il s’appelait Daniel, mais elle n’avait jamais vraiment prêté attention à lui. Il était de ces élèves discrets, nonchalants, toujours installés dans le fond en cours. Ses airs de mauvais garçon solitaire lui donnaient un certain charme. Mais ce n’était pas le genre de personne que Lydia cherchait à fréquenter. C’est à peine si elle s’était rendue compte de son existence, pourtant ils partageaient la même classe. Ils n’étaient pas du même monde. Ils ne s’étaient jamais adressé la parole et ça aurait pu continuer ainsi si jamais il n’en avait pas décidé autrement. Comme toujours, Lydia s’était assise devant, côté fenêtre, elle attendait qu’Amy arrive pour combler son ennui. Amy, c’est celle qui s’asseyait à côté d’elle à tous les cours, c’est celle qu’elle qualifiait de « meilleure amie ». Tout jeune qui se respecte doit en avoir une. C’était donc tombé sur cette belle fille, fantasme d’une bonne partie de la gente masculine. Ca fait bonne figure et ça passe le temps. C’aurait pu être n’importe qui, ça n’aurait pas changé grand-chose. Mais cette fois ci, ce n’est pas Amy qui la rejoignit. Daniel s’empara de la chaise vide et s’assit sans demander l’autorisation. Lydia le fusilla du regard. Elle s’apprêtait à poliment lui demander de dégager mais il prit la parole avant.

- Ca te fera pas de mal un peu de changement.

Sans quitter son visage triste, il lui sourit. C’était la première fois qu’elle le voyait sourire et surtout qu’elle entendait vraiment sa voix. Elle se ravisa donc. Pourquoi pas après tout ? Elle haussa les épaules, signe d’incompréhension, en se tournant vers Amy qui s’était bruyamment installé à une autre place. Lentement, les aiguilles du destin se mirent en marche, mais Daniel était le seul à le savoir. Le cours commença et leur piètre rapprochement s’acheva. Il ne lui accorda aucune autre attention, aucun mot. Elle se concentra sur la leçon. Les minutes passèrent. Elle prenait avec lassitude des notes sur les monologues du professeur, mais son esprit vaguait ailleurs. Elle regardait l’adulte s’agiter ridiculement, les élèves communiquer furtivement, les oiseaux s’envoler au ciel, le Christ sur sa croix au dessus de la porte d’entrée. Elle jeta un coup d’œil vers son voisin. Il était quasiment affalé sur la table, semblant cacher de son bras la feuille qu’il gribouillait. Elle ne distingua pas grand-chose, hormis que l’encre noire qui remplissait de plus en plus le papier formait des dessins. Intérieurement, elle ricana en se disant qu’elle comprenait pourquoi ses notes étaient médiocres. Elle détourna les yeux en soupirant. Elle ne comprenait décidément pas ce type. De quel changement parlait-il ? Voulait-il dire par là qu’il fallait qu’elle arrête d’être studieuse ? Qu’elle arrête de trainer avec Amy ? C’est vrai, Amy n’était pas parfaite, biatch à temps complet, mais elle au moins elle avait de la conversation. Lydia n’avait jamais été capable de juger les gens en dehors de ses intérêts. Lui, ce gratteur, il n’avait vraiment aucun intérêt…

L’heure passa dans une lenteur atroce et le glas de la délivrance retentit enfin dans tout le bâtiment. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, tous les élèves s’empressent de quitter leur salle de cours. Dans la précipitation, la jeune brune bouscula son voisin et sortit de la pièce. Elle marcha rapidement, jusqu’à se réfugier dans les toilettes. Elle ferma la porte à clef, attendit que le vacarme des élèves déambulant les couloirs cesse, puis ouvrit son livre. Dedans, elle y avait caché le dessin de Daniel. Elle lui avait volé en sortant de la classe. Pourquoi ? Aucune idée. Il faut une raison ? Elle était intriguée par le mystère qu’il prenait pour le faire. Ce n’est pas la première chose qu’elle volait et encore moins la dernière. Sur la feuille en papier était tagué en gros « ADRENALINE ». Autour, il y avait des champignons, des lutins, des fleurs, des papillons, des armes, des pirates, un homme vêtu de noir fait un doigt d’honneur tandis qu’un policier semble lui courir après, une femme qui tient un bébé pleure. Le dessin est mal fait, grotesque, hormis le graffiti. Sur le coup, elle ne comprit pas pourquoi il avait prit une heure complète à faire ce dessin bâclé. Puis elle remarqua une phrase écrite en petit en bas à droite de la feuille : « De toute façon il était pour toi. ». Elle ne saisit pas. S’adressait-il à elle directement ? Savait-il ce qu’elle ferait ? Etait-ce destiné à quelqu’un d’autre ? Avait-il écrit ça par hasard ?
Avec le temps, elle apprendra que le hasard n’existe pas.