« Dieu créa le ciel et la terre… Et Chaos, notre père, amena les vices pour tout parfaire. »

Vint le jour où Eve prit le fruit défendu,
Tentée par ce vil petit serpent maléfique,
Dieu décida de la punir et la châtia,
L'humanité était de ce fait menacée,
Par divers maux qu'elle ne connaissait pas
Car la terre fut toujours leur terrain de jeu
Chassée de l'Eden, elle y vivrait désormais

Stop. On arrête tout de suite les frais. Non mais vous croyez sincèrement que nous allons raconter notre histoire tout en alexandrins? Il ne faut pas pousser bobonne dans les orties non plus hein... Qui sommes-nous? Oh c'est simple ma foi. Tantôt je suis le vieux là qui est en train de mourir lentement, ou bien je suis cette gamine à la mini jupe et au col échancré qui désire ardemment se trouver une couette chauffante pour la soirée. Tantôt je suis ce gosse qui tousse à s'en arracher les poumons, ou bien encore ce gâteau qui te donne envie là juste maintenant. Je suis tout, je suis moi, je suis toi, je suis eux. C'est un peu trop compliqué pour ton cerveau? Bon, alors on va reprendre depuis le tout tout début. Juste parce qu'on aime les histoires nous autres et puis nous le valons bien... Nous sommes là depuis le commencement le jour où Dieu décida de créer le ciel et la terre. Spectateurs gourmands, nous nous amusions à voir les premiers vols de ces oiseaux ignares qui coulaient à pic dans les océans faute de comprendre comment battre des ailes. Nous nous délections de ce met succulent que sont les animaux qui meurent de faim avant d'avoir compris qu'il faut manger l'herbe environnante. Nous étions mauvais, nous étions nous tout simplement. Le pêché de la création, le vice, le mal incarné. Dieu ne nous avait pas créé, nous étions là bien avant lui, êtres immatériels attendant que la chair naisse pour en prendre possession.

Nous attendions sagement notre heure car la divine création, l'œuvre parfaite de ce Dieu tout puissant ne serait tarder. Nous n'allions tout de même pas nous contenter de ce menu fretin qui venait de voir le jour tout de même. Non, nous voulions voir plus loin, toucher la perfection, et c'est ainsi que nous avons attendu le septième jour. L'Homme ouvrit les yeux sur le monde et fut bientôt rejoint par la Femme. Vous la connaissez tous cette histoire d'Adam et d'Eve n'est-ce pas? Ah cette chère Eve... Nous ne serions rien sans elle car voyez-vous, en offrant à son homme le fruit défendu, elle nous ouvrit la porte vers l'humanité et nous permit de nous délecter enfin d'un menu plus consistant. Nous avions enfin la possibilité de tourmenter la création parfaite. Dieu fut mécontent. Non seulement car nous avions gagné la bataille mais surtout parce que sa propre création, qu'il considérait comme l'être suprême, avait échoué et s'était laissée embobiner par nos si jolies paroles. Nous étions enfin libérés de notre carcan, nous pouvions prendre possession de l'être humain et lui faire réaliser les pires maux que l'œuvre de Dieu puisse porter. C'est ainsi que la vieillesse, la maladie, la guerre, la famine, la misère, la folie, le vice, la tromperie et enfin la passion se déversèrent sur l'Eden tout entier. Inquiet, Dieu congédia Adam et Eve sur Terre afin d'éviter que son univers ne soit bafoué. Tant pis si l'homme vivait parmi nous. Tant pis s'il souffrait par nos soins méticuleux. Il avait désobéi, il en payerait les conséquences. Qu'à cela ne tienne, nous n'allions certainement pas nous en plaindre...

Les siècles passèrent puis vinrent à leur suite les millénaires. L'homme était toujours aussi stupide et orgueilleux, nous nous amusions à le tourmenter à chaque instant. Tantôt je me régalais à faire souffrir un vieillard en le faisant dépasser ses limites, en jouant avec son petit cœur de beurre, en le faisant mourir d'une crise cardiaque. Tantôt mon frère jouait avec ce peuple, dont personne ne voulait, leur infligeant mille tourments, créant des guerres en leur nom. Ma sœur jouait avec ces êtres frivoles qui ne pensaient qu'à la débauche en leur amenant maladies et autres désagréments du genre. Oui, nous nous régalions. Il avait fallu longtemps mais l'attente en valait largement la peine. Notre repas était tout simplement exquis. Je dirai même divin. Cependant, il faut l'avouer, l'ennui finit par nous gagner. Les hommes étaient idiots et répétaient toujours les mêmes erreurs. Mon frère ne s'amusait plus de voir des peuples se déchirer au son des mitraillettes et des bombes. Ma sœur ne s'amusait plus à voir la lueur de peur de ces gens assassinés par un tueur en série maniaque et dépressif. Non, il faut l'avouer, nous avions fini par nous lasser. Quelle ironie du sort n'est-ce pas? C'est alors que l'aîné de tous trouva une sublime idée. Pourquoi ne pas détruire l'humanité de manière plus directe? Pourquoi s'immiscer dans les esprits alors que nous aurions tout aussi bien pu semer la zizanie en étant face aux personnes concernées? Il nous fallait une enveloppe charnelle pour pouvoir nous déplacer sur terre et tourmenter nos victimes préférées.

C'est ainsi que nous avons pris forme humaine, que nous nous sommes dotés d'une identité. Nous allions nous attaquer de manière ciblée au menu. Nous allions arrêter de regarder la liste des ingrédients pour commencer la recette et ainsi déguster notre dessert favori. Nous sommes très vite arrivés à la constatation simple mais pourtant primordiale, l'enveloppe charnelle avait ses inconvénients. Nous ne pouvions plus tirailler les masses comme autrefois. Alors que nous pensions enfin nous amuser à nouveau nous perdions à nouveau espoir. Pourtant, l'aîné de tous ne semblait guère déchanté pour autant. C'est dans un sourire carnassier qu'il nous exposa son plan. Pourquoi ne pas laisser le monde en paix pendant notre absence? Nous nous attaquerions uniquement à une petite troupe d'êtres humains. Un endroit particulier où quelques âmes, de tout horizon et sans aucun lien, s'y seraient retrouvées. Un lieu pour nous y amuser en toute tranquillité. Nos visages se fendirent d'un large sourire mesquin. Le plan était parfait. Il ne nous restait plus qu'à trouver un endroit. L'un proposa une école mais on déchanta vite, les enfants, c'est si ignorant que ça fonce bêtement dans nos pièges, même pas marrant. Il nous fallait un endroit peuplé, qui regrouperait des inconnus venus des quatre coins du globe. Nous avons fini par faire notre choix. Bienvenue dans l'hôtel Dusk l'ami. Tu viens de t'arrêter, après plusieurs heures de route, dans cet endroit miteux perdu en plein milieu du Nevada. Un hôtel tout simple, sans prétention, qui propose un accueil chaleureux. Tu pensais être tranquille jusqu'au lendemain n'est-ce pas? Et bien détrompe-toi car c'est ici que nos chemins se rejoignent.